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Marie Kelbert par Franck Ferville

Mon interview de Marie Kelbert pour Le Buzuk paru aux éditions Viviane Hamy.

 

Votre roman est sorti en cette rentrée littéraire. Êtes-vous contente de l’accueil et des retours ?

Oui, plutôt contente. D’autant que je n’avais pas d’attente particulière, puisqu’il s’agit d’une expérience inédite pour moi. Si bien que chaque article, chaque critique parus m’ont surprise, émue parfois et souvent amusée. Avec le recul, après ces quelques mois, je commence à réaliser que mon Buzuk, écrit il y a plusieurs années maintenant, a définitivement quitté le fauteuil où il se morfondait (remarque qui parlera à ceux qui l’ont lu…) et, nourri d’une énergie qui lui est propre, s’est affranchi et ne m’appartient plus!

Et j’aime assez l’idée qu’il ait été repéré pas forcément par de grands médias institutionnels, journaux, radios, mais ici ou là, par des blogueurs, des libraires, la presse régionale, ou encore par des cercles de lecteurs/lectrices de médiathèques. Ce n’est pas le premier roman qui se fasse connaitre en partant de la périphérie, sans tambours ni trompettes. On verra où il s’arrête, mais il est permis d’être optimiste.

C’est votre premier roman publié (sur trois écrits, il me semble). Dans quel état d’esprit étiez-vous avant la sortie ?

Le Buzuk est effectivement mon troisième roman, et le premier proposé à des éditeurs.

Tout d’abord j’appréhendais cette aventure, je procrastinais devant l’obstacle, car je savais que cela pouvait être une expérience douloureuse, que l’on soit âgé comme moi de 66 ans ou de 25 ans, l’échec, faire face aux refus des éditeurs, c’est déstabilisant lorsque l’on écrit depuis longtemps et que l’on a été son seul juge durant tant d’années. L’échec ce n’est pas seulement une affaire d’ego, en tous cas pour moi, c’est beaucoup plus profond. Donc il faut du courage, ou du détachement, pour affronter l’épreuve et, en cas d’échec, la surmonter en poursuivant un travail qui emplit une grande part de votre vie. Tant que vous n’avez pas pris le risque du jugement d’autrui, vous pouvez toujours croire en votre talent…C’est confortable.

Alors, le premier message reçu sur mon téléphone et ma boite mail, par l’éditrice des éditions Viviane Hamy, Lise Chasteloux, a été un choc, une grande émotion. Je suis restée sans voix. J’étais en vacances avec mon mari et des amis. Bien sûr, juste après il y a la joie, puis sont venues d’autres réactions, dont l’appréhension face à l’entreprise, cette forme d’engrenage auquel il n’est alors plus possible de se soustraire. Je me suis dit qu’il valait mieux ne pas trop savoir ce qui allait m’arriver, et accepter comme un jeu de sortir de ma coquille comme le fait le bernard-l’ermite face à la marée qui vient.

A sa sortie, je dois dire que bizarrement j’étais très détachée, j’avais le sentiment d’avoir fait le job, et que ce qui advenait me concernait à peine. Une amie m’a envoyé une photo du livre exposé dans une librairie de Strasbourg, j’y ai vu comme un clin d’œil de mon petit teckel !

Aviez-vous proposé les deux autres aux maisons d’édition ? Ou qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes décidé pour celui-ci ?

Non. Je pense que je n’étais pas prête. J’ai vécu une expérience incroyable pour le premier. J’ai voulu, pour moi et mes proches m’amuser à l’auto éditer, sur un site dont une amie m’avait parlé. Cela me permettait de m’entrainer à la mise en page, faire des exercices sur mon ordi, etc…Et voilà que j’ai oublié de cocher une case, et le livre s’est retrouvé livré au public sur internet. L’horreur pour moi. C’était il y a des années et j’ai tout arrêté.

Alors, pourquoi celui-ci ? pourquoi Le Buzuk ? C’est une bonne question. Comme je ne veux pas m’exprimer sur les précédents qui sont aussi des fictions, mais très différents, je dirais que je mettais moins d’enjeu personnel, moins d’appréhension, à le proposer et éventuellement le laisser partir, ou au contraire assister à la fin de son aventure. Je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi celui-ci était partant pour essuyer les plâtres ! L’histoire, le ton (l’humour et l’ironie créent une sorte de distance), le cadre, les personnages, y compris le chien, sont ancrés dans une forme d’actualité, des éléments reconnaissables par tous, et peut-être me suis-je convaincue, après le retour de lecture de mes proches et amis, et aussi mon propre jugement de lectrice que Le Buzuk était ce qu’il était, ni plus ni moins : un bon petit roman qui dans son genre tenait la route, que s’il ne rencontrait pas son public, c’était juste une question de malchance, mais que cela ne m’empêcherait pas de continuer à inventer des histoires. J’espère ne pas paraitre prétentieuse en racontant cela. 

J’ai lu dans un article que l’idée du livre est venue lors d’une promenade sur les lieux de l’action, est-ce bien cela ?

Oui, c’est tout à fait exact. Tout est parti du lieu, du site qui existe bel et bien et que je connais comme ma poche, en Bretagne, dans le Finistère. C’était en 2016. Je me suis fait peur à moi-même, comme souvent. C’est venu cette fois en admirant, du haut de ce promontoire en granit que l’on nomme Couette de plumes, ce décor de promenade en bord de Manche…L’actualité était alors centrée sur les événements de Notre Dame des landes et je lisais tout ce que je trouvais sur le sujet. Naturellement la vision d’une ZAD a surgi soudainement dans ma tête et toute l’histoire derrière.

À propos des personnages, comment est née Joséphine ? Et le Buzuk ? Qui est un personnage à part entière lui aussi.

Comme il s’agissait de raconter la rencontre entre deux communautés, deux comités de défense de ce site, j’ai imaginé ce personnage de Joséphine pour incarner en quelque sorte la passerelle, le pont entre ces deux communautés. Je voulais qu’elle soit décalée (par son âge, son pedigree, etc…), ingénue, c’est-à-dire sans préjugés sur ces jeunes gens, qu’elle voie chez eux des similitudes avec sa manière de penser, une sorte de « catéchisme » qu’ils partagent sans en avoir conscience. Son âge et son deuil me permettaient aussi d’aborder de façon indirecte, toujours un peu décalée, les questions du vieillissement et des préjugés qu’on a sur la vieillesse, assignée à l’immobilisme, ou à la perte (d’un tas de choses…). Il fallait quelqu’un de vivant, et tout naturellement j’ai pensé à lui mettre un chien dans les pattes, si je puis dire. Ce chien est aussi un lien, avec le défunt, la mort, avec la famille, avec les zadistes, avec la nature bien sûr, et surtout avec la vie. Car Le Buzuk est un fil rouge, il traverse le roman, il est mouvement, jusqu’à la fin. Quelqu’un m’a fait remarquer la symétrie dans la destinée entre les deux personnages, la maitresse et son chien. Je n’avais pas réfléchi à cela mais c’est juste.

Pour la petite histoire, je n’y connais rien en chien, au départ j’avais choisi un fox-terrier, parce qu’ils me plaisent, mais il a bien fallu se résoudre à prendre un teckel, qui lui pouvait se faufiler dans des terriers de lapins. Sinon quelqu’un d’un peu regardant m’aurait dit qu’un fox-terrier, malgré son nom, ne rentre pas dans les galeries peuplées de lapins de garenne.

Avez-vous aussi rencontré ou discuté avec des zadistes pour mieux les cerner ?

Non, je n’en connais pas, mais comme je l’ai dit, j’ai beaucoup lu sur la ZAD de NDDL, et sur toutes les autres zones à défendre de France. Je suis beaucoup (trop) l’actualité.

J’habite en Haute Garonne, et les lieux de confrontation pour défendre et préserver la nature ne manquent pas. Personnellement je ne suis pas militante, mais mon avis importe peu, ce que j’aime bien chez Joséphine, c’est son ingénuité, elle ne savait pas du tout au début à qui elle avait affaire, c’est incroyable la différence que cela fait dans votre approche de l’altérité lorsque vous n’avez aucun préjugé. Vous voyez l’essentiel, vous vous arrêtez à ce qui compte pour vous. 

L’histoire traite d’écologie, de la nature et de ceux qui la défendent, mais c’est aussi drôle, ce qui n’est pas forcément gagné avec ce thème. Comment avez-vous trouvé le juste équilibre ?

Ce ton est absolument voulu. Je ne voulais pas être pontifiante, donneuse de leçons et distribuer des bons et mauvais points. (Enfin, on m’a fait remarquer que je m’étais défoulée sur les filles de Joséphine, si conventionnelles que le contraste avec leur mère crée un effet comique. Elles ne risquent pas de me faire un procès parce que je n’ai pas de filles ! ).

A vrai dire, à partir du moment où j’avais le cadre (la Bretagne), le personnage principal, le chien, et le dispositif narratif du journal, l’humour, ou du moins la légèreté, sont venus tout seuls, le registre s’est imposé. Je suis bretonne, et peut-être est-ce un ton qui m’est familier.

Je veux dire aussi que ce qui m’importait, -c’était mon challenge-, c’était de rester sur une ligne de crête entre légèreté et gravité, y compris pour parler de troubles cognitifs, de deuil, de solitude, de manipulation (car Jade, toute adorable qu’elle soit, manipule sa grand-mère), car comme dans la vraie vie, on bascule sans cesse entre tragédie et comédie. Il m’arrive souvent de voir du comique dans des situations qui semblent désespérément tragiques. Et l’inverse est vrai également : des gens qui rient aux dépends des autres me font rarement rire, comme parfois des histoires formatées pour être drôles me laissent impassible, ce qui peut provoquer des situations cocasses.

Ce roman rencontre son public. Est-ce que vous profitez de la sortie et des rencontres, ou vous êtes-vous déjà remise à l’écriture ?

Ah, c’est la grande question. J’essaie pour vous répondre de rester calme et raisonnable, mais évidemment que ma plus grande urgence, c’est de me remettre au travail, de reprendre des chantiers interrompus, dans les mêmes conditions qu’avant, c’est-à-dire, tranquille, incognito, etc…Mais ces conditions-là sont perdues à jamais, parce que en étant publiée, il m’est arrivée comme un coming out, un nouveau paramètre avec lequel je dois vivre désormais. 

Maintenant qu’elle a pris gout à l’aventure, pourrions-nous retrouver Joséphine dans une autre histoire ?

Votre question est amusante, tout à fait dans le ton du roman…Mais, non, pas du tout. Joséphine est liée au Buzuk, ils ont vécu une sacrée aventure ensemble. Moi tant que je suis en vie, je ne les oublierai pas, tels qu’ils sont, ils ont pris chair dans cette histoire-là qui est leur histoire. On va les laisser tranquilles respirer le plus longtemps possible l’air épicé de la Couette de Plumes.

 

Le buzuk

Le Buzuk de Marie Kelbert aux éditions Viviane Hamy, 240 p, 19,90 €.

Gustavo rodriguez

Mon interview de Gustavo Rodriguez pour Eufrasia Vela et les sept mercenaires paru aux éditions de l'observatoire.

 

Votre roman a été publié dans sa version originale en 2023. Êtes-vous satisfait de l'accueil que lui ont réservé le public et la presse ?

Je suis assez satisfait, car chaque rencontre avec les lecteurs dans tous les pays que j'ai eu la chance de visiter a été passionnante. La presse s'est également montrée intéressée, même si je ne sais pas exactement si c'est en raison de l'apport littéraire du livre ou du sujet traité. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas oublier que ce roman a été publié sous l'influence du prix Alfaguara, qui suscite toujours une grande attente en Amérique latine : je suppose que c'est là que réside une grande partie de sa réception initiale.

Ce type de reconnaissance est-il important pour vous, ou s'agit-il simplement d'une gratification ?

Il est toujours passionnant de savoir que cinq ou sept personnes qui ont lu votre roman parmi des centaines d'autres, sans savoir que vous en êtes l'auteur, le considèrent comme si digne d'intérêt. C'est gratifiant, car cela me rappelle que j'ai atteint un niveau de narration relativement acceptable. Mais je dois aussi me rappeler qu'un prix aussi médiatisé n'est littéraire que tant que le jury est réuni dans l'intimité de la lecture : tout ce qui se passe ensuite est extra-littéraire. Avoir l'attention des médias ne garantit pas que l'on soit un meilleur écrivain. 

Le livre a été publié en France à l'occasion de la rentrée littéraire. Quel effet cela fait-il de savoir qu'il a été lu dans d'autres langues ?

Je suis très curieux, surtout quand il s'agit d'une langue que je ne maîtrise pas, comme le français. Un traducteur réécrit en fait le livre : a-t-il saisi les subtilités et les contradictions de mon regard et de ma société ?

Quelle est votre relation avec notre pays ?

Au Pérou, le pain que nous mangeons quand nous sommes enfants s'appelle « pain français », alors qu'il n'en est pas ainsi en France. Comment échapper à tant d'émotions qui me font penser à votre pays ? J'ai déjà parlé de Jules Verne dans mon enfance - on dit d'ailleurs que mon grand-père maternel était un de ses amis, mais je pense que c'est exagéré - et je dois dire aussi que le seul roman qui m'ait fait pleurer est « Les Misérables ». Je pourrais aussi dire que ma première fille, Alesia, porte ce nom parce que je suis tombée amoureuse de cette orthographe sur une affiche à Paris la première fois que j'y suis allée (même si je ne connaissais pas alors la bataille perdue par les Gaulois). Qu'enfant j'écoutais Piaf et Aznavour, et qu'aujourd'hui j'aime Zaz ; que Betty Blue a été un coup de feu dans le cerveau de mon adolescence, ou que j'ai voulu que la France batte l'Allemagne dans cette demi-finale épique de 1982. Peut-être devrais-je le résumer ainsi : apprendre le français a toujours été mon éternelle première tâche en suspens. 

Pouvez-vous nous parler de la genèse du livre, de la façon dont vous en avez eu l'idée ?

J'habite à Lima, au bord de la mer. Un jour, j'ai appris que la maison voisine avait été vendue et qu'on allait construire un immeuble qui allait me priver d'une partie de la vue. Pour atténuer ma colère, j'ai écrit une histoire dans laquelle la même chose arrive à une vieille femme en chaise roulante, et son aide-soignante essaie de la consoler. C'est là que se trouve le germe du roman. Mais c'est à la mort du père de ma compagne - une mort très digne et accompagnée d'amour, je dois dire - que l'histoire s'est transformée en roman. J'imagine que l'idée de mon chemin vers la vieillesse, associée à la mort de la génération qui m'a précédé, est le magma qui a alimenté cette éruption.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour parvenir au manuscrit final et au style soigné que j'ai eu tant de plaisir à lire ?

C'est le roman que j'ai écrit le plus rapidement. Le mot « urgence » est peut-être le plus approprié. J'ai écrit jusqu'à sept heures par jour, tous les jours, et j'ai eu le premier manuscrit en deux mois. 

Pouvez-vous nous parler de la création des personnages, d'Eufrasia Vela ou des personnes âgées qui l'entourent ?

La première vieille dame qu'Eufrasia rencontre est Doña Carmen qui a perdu son unique fenêtre sur la mer parce qu'un immeuble très haut a été construit à côté. Eufrasia rencontre alors un vieil homme qui vit sa solitude et sa maladie d'une manière différente : Jack Harrison, un médecin à la retraite qui ne peut se passer de son whisky. C'est le seul personnage en chair et en os : c'est un hommage littéraire que j'ai rendu à mon beau-père. Mais la fête explose quand Eufrasia rencontre les « sept magnifiques » dans une maison de retraite. Ces personnes âgées devaient être très différentes les unes des autres dans leurs expériences de vie, car ce n'est qu'ainsi que l'on peut rendre compte d'une société aussi complexe que la mienne : Tio Miguelito, un ancien surfeur issu de la classe blanche aisée de Lima dans les années 1970 ; Ubaldo, un poète bègue qui enseigne la littérature dans une école riche et qui a des tendances de gauche ; Giacomo, un marin à la retraite aux idées très conservatrices ; Mme Pollo, qui était la seule féministe célibataire de sa famille aristocratique ; Tanaka, un commerçant fils de Japonais ; les jumeaux renfermés....

J'imagine qu'ils incarnent tous, dans une mesure plus ou moins grande, des personnes que j'ai connues, même si parfois je ne suis pas sûr du lien. Je suppose qu'Eufrasia est la confluence de deux ou trois femmes merveilleuses et attentionnées que j'ai connues dans ma vie, mais je la fais naître dans un petit village andin que j'ai connu dans mon enfance. Les souvenirs sont mélangés dans un shaker et les lecteurs boivent le résultat.

Avez-vous parlé à des soignants à domicile ou à des personnes souhaitant mourir afin de mieux les comprendre dans le contexte de ce livre ?

Non, mais cela fait plus de cinquante ans que j'observe des personnes âgées - à commencer par ma grand-mère maternelle, qui vivait avec moi - et j'ai aussi vu vieillir des personnes qui m'étaient chères. Un auteur de fiction doit être un lecteur, bien sûr, mais avant cela, il doit être un observateur.

Le droit de mourir dans la dignité ou d'aider une personne en fin de vie n'est pas encore légal dans notre pays, mais qu'en est-il au Pérou ?

Il n'est pas légal non plus au Pérou. Je suppose que nous sommes des sociétés dont l'identité s'est formée avec l'interférence de la religion, avec l'idée que votre vie ne vous appartient pas, mais qu'elle appartient à un dieu. C'est une histoire très forte qui n'est pas remise en question... jusqu'à ce que l'on en subisse les conséquences dans sa propre chair. 

Une autre chose que j'ai beaucoup aimé, ce sont les nombreuses touches d'humour - est-ce pour donner au lecteur une pause dans une histoire aussi forte ?

 

C'est une raison technique, et elle est valable. Mais il y a une raison existentielle sous-jacente : j'ai toujours utilisé l'humour pour faire face à ma tristesse. Je ne suis pas le seul, la vie n'est-elle pas une tragicomédie ?

 

Cela fait plus d'un an que ce roman est sorti, avez-vous déjà commencé à écrire le prochain ?

 

Oui, j'ai commencé à écrire un roman il y a un an et le manuscrit est déjà terminé. J'imagine qu'il sera publié en 2025. Il racontera comment un écrivain écrit à sa mère âgée le dernier livre qu'elle lira de sa vie.

 

Eufrasia vela et les sept mercenairesEufrasia Vela et les sept mercenaires aux éditions de l'observatoire, 272 p, 21 €.

 

 

LMCNMon interview du duo d'auteurs Ludovic Manchette et Christian Niemiec pour A l'ombre de Winnicott paru chez Le Cherche Midi.

 

Tout d’abord, pouvez-vous nous dire si vous êtes contents de l’accueil de ce roman et des retours ?

Ludovic MANCHETTE : Très heureux, oui. Les retours sont incroyables.

Christian NIEMIEC : Les lecteurs l'adorent, ce qui n'était pas forcément évident parce que nous avons changé de genre une nouvelle fois, mais aussi d'époque, de continent...

« Alabama 1963 » et « America[s] » ont reçu des prix et des bonnes critiques. Est-ce que cela met un peu de pression quand on écrit le roman suivant ? Ou est-ce facile de ne pas y penser ?

C. N. : Nous n'y pensons pas vraiment au moment d'écrire. Nous ne pensons qu'à raconter notre histoire le mieux possible.

L. M. : Évidemment, nous n'avons pas envie de décevoir ceux qui ont aimé nos romans précédents, mais nous avons assez confiance en notre instinct. Si une histoire nous donne envie d'y consacrer deux ans de notre vie, c'est qu'il y a quelque chose... Et puis nous sommes deux. Si nous y croyons tous les deux...

C. N. : Eh oui, on se rassure comme on peut ! (rires)

Comment est venue l’idée du thème de ce troisième roman ?

L. M. : Le thème des fantômes nous intéresse depuis longtemps. La tante de Christian était médium et ma grand-mère faisait tourner les tables... Et nous avions envie d'un huis clos après « America[s] », qui était un road trip.

C. N. : Nous avions aussi l'idée d'une nourrice ou une grand-mère qui raconterait des histoires affreuses à un enfant. Cela a donné naissance au personnage de Viviane, notre préceptrice... Après quoi nous avons trouvé l'idée de l'enfant aveugle, qui entend des bruits et qui ressent des présences dans ce grand manoir...

L. M. : Au-delà des fantômes, c'est leur relation à tous les deux qui est au cœur du roman. Roman dont on nous dit qu'il est à la fois touchant et très drôle. Beaucoup de lecteurs nous ont confié avoir éclaté de rire à plusieurs reprises.

Effectivement, il y a toujours des touches d’humour dans certaines situations ou les dialogues. C’est votre touche personnelle ? Histoire de mettre un peu de légèreté dans l’histoire ?

C. N. : Je crois que c'est une de nos marques de fabrique, effectivement. Et il est vrai aussi que cela permet au lecteur de souffler un peu entre deux passages plus tendus.

L. M. : Ces répliques et passages nous amusent beaucoup nous-mêmes. Il faut dire qu'il y a une émulation du fait que nous écrivons à deux : nous essayons de nous surprendre l'un l'autre. Naturellement, il faut que cela colle avec la situation et le personnage. Ça ne peut pas être gratuit.

Après les États-Unis en 60 et 70, l’histoire se passe ici en Angleterre, dans les années 30. Faites-vous beaucoup de recherches sur les époques et les lieux avant le début de l’écriture ?

C. N. : Des heures de recherches, avant et pendant l'écriture. Pour être tout à fait à l'aise, nous avons besoin d'en savoir beaucoup plus que ce que nous allons utiliser. Quand nous avons bien fait nos devoirs, il nous semble que le lecteur pressent que nous savons de quoi nous parlons. Ensuite, bien évidemment, le fruit de nos recherches doit s'insérer naturellement dans le récit.

L. M. : Nous lisons beaucoup, nous regardons des documentaires, des films, nous interrogeons des gens concernés... Des spécialistes, des témoins... Un médecin légiste pour « Alabama 1963 », des non-voyants pour « À l'ombre de Winnicott », mais aussi une dame Anglaise qui était petite dans les années 1930...

Et pour ce qui est de l’écriture, on a dû déjà vous poser la question des centaines de fois, mais comment procédez-vous pour écrire à quatre mains ? Car évidemment cet aspect intéresse beaucoup.

C. N. : Nous écrivons tout à deux. Nous faisons toutes les recherches à deux, nous construisons l'intrigue à deux et nous écrivons chaque phrase à deux. L'un de nous lance une idée, nous en discutons, affinons... jusqu'à trouver la phrase qui figurera dans le roman. Une phrase qui s'impose à nous au même moment.

Vos romans sont toujours de vrais romans d’ambiance dans lesquels on plonge totalement. Avez-vous des auteurs de référence qui vous ont inspirés ?

L. M. : Pour le dernier roman, nous pouvons citer Henry James et son « Tour d’écrou » pour le côté « préceptrice dans un manoir hanté », ou Oscar Wilde et son « Fantôme de Canterville » pour l'aspect parfois un peu décalé. Mais on nous parle également d'Agatha Christie pour l'ambiance très cosy, très british. Ce n'était pourtant pas une référence consciente, même si nos personnages lisent « Le Crime de l'Orient-Express » qui vient de paraître au moment où se déroule notre histoire.

On pense un peu à la série « Downton Abbey » en lisant le livre : la vieille Angleterre, le personnel et le majordome un peu strict… Est-ce que cette référence vous plait ? Vous agace à force ?

L. M. : C'est une référence très flatteuse, qui ne nous agace pas du tout. Au contraire. Mais au moment de l'écriture, nous avions plutôt en tête le roman « Les Vestiges du jour » de Kazuo Ishiguro et son adaptation au cinéma par James Ivory, avec Anthony Hopkins et Emma Thompson. Un film qui a sans aucun doute inspiré « Downton Abbey » cela dit.

Vous êtes encore en pleine promo de ce livre avec de nombreuses rencontres avec le public. C’est important pour vous, ces moments en face à face ?

C. N. : C'est très important, oui. Cela nous intéresse toujours beaucoup de savoir ce que les gens ont aimé en particulier dans tel ou tel roman. Pendant des mois et des mois, nous sommes seuls face à notre écran et nous ne pouvons qu'espérer que d'autres que nous s'intéresseront à notre histoire. Alors nous ne boudons pas notre plaisir quand il s'agit enfin de les entendre en parler... Et d'ailleurs, pour tout vous dire, c'est toujours très étrange au début, à la sortie des romans, d'entendre les lecteurs prononcer les noms d'Adela Cobb, Bud Larkin, Viviane Lombard, George Montgomery... des noms que nous avons été les seuls à connaître pendant deux ans, voire plus...

L. M. : Nous écrivons des histoires pour les partager, comme des bouteilles à la mer, et c'est important pour nous de mesurer que nous n'avons pas jeter ces bouteilles en vain. Quand une lectrice nous dit sur un salon du livre « N'arrêtez jamais d'écrire », cela donne du sens à cette drôle d'activité qui occupe le plus gros de notre temps et de notre esprit.

Avec cela, avez-vous déjà eu le temps de penser à la suite ? Si oui, peut-on avoir un tout petit indice sur le prochain roman ?

L. M. : Figurez-vous que nous ne savons pas du tout de quoi il s'agira ! L'écriture est un travail de longue haleine, qui s'apparente vraiment à un marathon... Et en toute honnêteté, nous ne sommes pas encore tout à fait prêts à repartir.

C. N. : Il nous faudra d'abord trouver une idée qui promettra un livre meilleur que les trois premiers. Sinon, à quoi bon ?

A l ombre de winnicott
A l'ombre de Winnicott de Christian Niemiec et Ludovic Manchette aux Editions Le Cherche Midi, 504 pages, 22,50 €.

charlotte dordor par © Charlotte KrebsMon interview de l'autrice Charlotte Dordor pour Un furieux silence paru aux éditions Julliard. (Crédit photo © Charlotte Krebs)

 

Ce roman est paru fin août de cette année pour la rentrée littéraire. Êtes-vous contente de son accueil et des retours ? 

Très contente ! J’avais peur d’être noyée dans cette rentrée littéraire, mais le livre a trouvé sa place. J’ai eu des retours dans la presse et des mots de lecteurs qui m’ont touchée et surprise.

C’est votre second roman, avez-vous eu, comme beaucoup, un peu plus de « pression » ou de stress à l’écriture et avant sa sortie ? 

À l’écriture, beaucoup plus de pression car à la différence du premier, pour le deuxième, on sait déjà en écrivant qu’on va être lu ! On y pense forcément. J’ai la chance d’avoir une éditrice qui a été très enthousiasmée par le texte à la première lecture et qui a facilité les choses.

J’avais plus d’attentes à la sortie, aussi, car le premier roman est une expérience unique, alors que le deuxième se réfère toujours un peu au premier. Mais j’étais plus sereine, notamment pour la promotion, j’ai beaucoup appris lors de la parution du premier roman, et je suis désormais capable d’envisager sans stress une interview à la radio ou une conférence en public.

Pouvez-vous nous raconter un peu comment vous avez eu l’idée de départ de ce livre ?

L’idée de départ, c’était de montrer par la fiction comment un secret de famille pouvait se transmettre sur plusieurs générations, quels étaient les mécanismes à l’œuvre, comment est-ce qu’un drame qui était arrivé à une personne de votre famille pouvait résonner en vous sans que vous ne l’ayez jamais connu.

C’est un livre fort. Vous êtes-vous renseigné sur les mensonges de famille et sur leur impact avant l’écriture ?

Oui, c’est même en me renseignant par hasard sur la question que j’ai eu l’idée de ce livre, parce que c’est souvent par le biais du roman, de la fiction, que l’on aborde profondément, intimement, une problématique. Bien sûr, les ouvrages de Serge Tisseron ont été d’une grande aide, sur les mécanismes à l’œuvre lorsqu’un secret continue de « transpirer » chez la personne et développe chez elle des manifestations étranges, décalées, que les proches – souvent ses enfants – vont recevoir sans pouvoir les décoder, et qui peuvent parfois leur faire développer à leur tour des troubles (de l’apprentissage, de l’alimentation, parfois des comportements psychotiques plus graves) sans que l’on puisse en trouver l’origine. Cela peut atteindre la génération suivante en suivant le même chemin. C’est le cas dans mon livre, où chaque génération est touchée par un drame initial secret, que l’on ne découvre qu’à la fin du livre et dont les clés sont perdues pour tous les personnages… sauf un.

Pouvez-vous nous parler de la création des personnages ?

Pour moi, c’est une étape essentielle dans la construction d’un roman, et dans celui-ci tout particulièrement. Quand vous avez votre personnage, quand vous le « tenez », vous pouvez le dérouler à l’infini, comprendre ce qu’il va faire, et même l’imaginer dans des situations que, pour finir, vous n’écrirez pas. Quand on est devant sa feuille, que l’on écrit une scène et que l’on se met à se dire « non, Henri ne pourrait pas faire ça », c’est que c’est gagné : vous avez votre personnage. Et parfois, parce qu’ils deviennent cette personne autonome, complète et vivante, ils vous emmènent à des endroits auxquels vous n’auriez pas pensé au départ.

Je ne fais pas de fiches avant, je prends des notes tout au long du récit, mais au fur et à mesure de l’écriture, ce sont de moins en moins d’adjectifs, je ne note plus que des détails concrets, des dates, des faits, dont je dois me souvenir. Je n’ai plus besoin de noter ce que sont les personnages, je n’ai plus besoin de les définir, parce qu’ils sont suffisamment vivants pour que je les connaisse intimement.

C’est un roman choral, comment avez-vous construit les alternances ? Savoir à quel moment changer de personnage ?

C’est tout le problème de ce roman ! J’avais commencé à écrire un récit rétroactif en trois parties, une première partie avec la voix de Paul, de nos jours, une deuxième avec la voix de Françoise en 1963 et une troisième avec la voix d’Henri en 1958 : je voulais remonter le temps et ménager une surprise narrative, une révélation, au lecteur à chaque fin de partie. J’ai écrit tout le roman comme cela, par blocs et je me suis rendu compte à la fin que cela ne fonctionnait pas, notamment parce qu’on s’attache difficilement à un personnage qui ne fait que se souvenir : on a envie en tant que lecteur d’être au cœur de l’action, et pas après la bataille. J’ai donc décidé de tout découper, de tout entrecroiser et cela a rendu le récit beaucoup plus riche. J’ai dû bien sûr le retravailler énormément à ce moment-là, couper, ajouter, réécrire, ciseler, réagencer pour que l’ordre et l’enchaînement des chapitres aient un sens, pour disposer les bonnes informations au bon moment. C’est surtout à cette étape que j’ai dû prendre des notes, j’avais un fichier Excel gigantesque pour me rappeler des informations dont disposaient les personnages, et en premier lieu le lecteur, à chaque étape.

C’est plaisant ou plutôt un exercice difficile de changer de style pour passer d’un protagoniste à l’autre ? Car on reconnaît bien chacun d’entre eux avec sa manière de parler.

C’est l’avantage de la difficulté que j’ai expliquée plus haut : cela n’a pas été très difficile parce que j’avais écrit chaque partie d’un seul tenant, je n’avais pas à me remettre dans la peau de chacun au fur et à mesure des chapitres. C’est pour cela que les voix sont aussi singulières, je me suis immergée dans l’univers de chaque protagoniste. C’est un exercice très agréable, de se glisser dans la peau d’un personnage qui n’est pas soi. Au tout début de l’écriture de ce roman, j’avais commencé par écrire le journal intime de Paul (j’ai fini par changer et supprimer cette forme), et c’était très plaisant, très reposant d’écrire le journal de quelqu’un d’autre.

Ce qui est difficile, c’est d’écrire un personnage d’enfant. Je pense à Françoise. On doit faire comprendre des choses subtiles avec une syntaxe et un réservoir de mots réduits. Le personnage d’Henri, qui porte beaucoup de violence en lui, m’est difficile à explorer à titre personnel parce que j’ai peu de colère en moi et que je dois puiser une énergie qui n’est pas la mienne. Ça n’est pas du tout mon caractère. Je suis plus à l’aise avec le personnage de Paul, réfléchi, introspectif. Quant à Huguette, vieille femme du Limousin dans les années 60, c’est le personnage qui m’a demandé le plus de travail, parce qu’elle parle avec un phrasé et un vocabulaire qui ne sont pas les miens et sur lesquels j’ai dû faire des recherches. Mais c’est le personnage que j’ai préféré écrire, sa voix était comme une musique, je me suis beaucoup amusée à l’écouter.

Pour terminer sur l’écriture en elle-même, saviez-vous dès le début à quel moment dévoiler telle ou telle information sur les secrets ?

C’est ce que j’ai le plus travaillé, puisque j’avais une idée au départ que j’ai dû changer après avoir achevé la première mouture du manuscrit.

En réaménageant ce récit, je me suis appuyée sur les mécanismes de deux genres littéraires très différents : ceux du roman policier et ceux de la tragédie.

Dans le roman policier, le lecteur en sait toujours moins que certains personnages. Il est en quête de vérité, et on peut lui donner des indices, des fausses pistes. Le lecteur peut changer d’idées sur les personnages au fur et à mesure de la lecture, certains passent du bourreau à la victime, de l’ange au salaud. Cela permet d’avoir une lecture très stimulante. Dans la tragédie, on a l’idée inverse : le lecteur en sait plus que les personnages, il sait que cela va mal finir pour certains d’entre eux, il a envie de les prévenir, Attention, tu vas tomber ! Mais dans la tragédie, on ne peut que regarder le personnage tomber. Cela crée une grande empathie envers lui.

Le personnage d’Huguette est un vrai personnage tragique : dès le prologue, elle annonce le malheur final inéluctable, comme dans les tragédies antiques, elle donne des clés au lecteur qui vont manquer aux protagonistes.

J’aimerais aussi dire un mot sur ce titre qui est à la base ce qui m’a donné envie de découvrir votre livre. L’idée vient de vous ? 

Nous avons eu du mal, mon éditrice et moi, à nous mettre d’accord sur un titre. Nous avions des idées, mais aucune qui ne convenait à toutes les deux. Nous avons fait une réunion où nous avons donné toutes les possibilités qui nous venaient, sans filtre. C’est en partant de ce rendez-vous que je lui ai dit, entre deux portes : « Et pourquoi pas Un furieux silence ? ».

J’avais envie d’avoir un titre avec le nom de Béatrice, personnage mystérieux et insaisissable autour duquel tourne tout le récit. Et puis finalement je me dis que c’est son invisibilisation dans le titre qui participe, elle aussi, à ce furieux silence !

Ce roman est très différent du premier, Le Retour de Janvier. Est-ce que le prochain le sera aussi si vous travaillez déjà dessus ? 

Je suis en phase exploratoire et je n’ai pas encore défini les contours du prochain livre, mais je sais d’ores et déjà qu’il sera encore différent. J’aime changer et me plonger dans de nouveaux univers et des structures narratives variées !

 

Un furieux silence

Un furieux silence de Charlotte Dordor aux éditions Julliard, 336p, 21,50€.

 

kate heartfield by Robert De WitMon interview de Kate Heartfield pour La conspiration du mage paru chez 404 éditions.

 

Votre livre The Magus Conspiracy est publié en anglais depuis 2022. Êtes-vous satisfaite de l'accueil qui lui a été réservé ?

Tout à fait ! J'étais un peu nerveuse, car je voulais vraiment que tout se passe bien et que l'on respecte les histoires précédentes. Alors quand il est sorti, et que les fans de longue date d'Assassin's Creed ont accueilli le livre avec enthousiasme, cela a été un énorme soulagement. Cela continue de m'apporter beaucoup de joie. J'ai également adoré entendre des lecteurs qui n'avaient jamais joué à un jeu Assassin's Creed auparavant, ou lu l'un des romans, mais qui ont tenté leur chance avec mon livre et ont ainsi découvert le monde.

Le livre est sorti il y a quelques mois en français, je crois que c'était la première fois pour l’un de vos livres. Qu'avez-vous ressenti lorsqu'il a été annoncé et publié ?

C'est merveilleux. Vous avez raison : c'est la première fois qu'un de mes ouvrages est publié en français, et cela signifie beaucoup pour moi, surtout en tant que Canadienne, puisque c'est l'une de nos deux langues officielles. J'espère que cela permettra à un plus grand nombre de lecteurs d'accéder au livre. J'ai suivi une grande partie de ma scolarité en français lorsque j'étais jeune, mais dans la vingtaine et la trentaine, je ne l'ai pas utilisé et j'ai perdu une partie de mes compétences dans cette langue. Mais ces dernières années, j'ai recommencé à le pratiquer et j'espère être bientôt prête à donner des interviews et à participer à des événements en français si l'occasion se présente - et j'adorerais le faire en France.

Quelle est votre relation avec notre pays ?

Je ne l'ai visité qu'une seule fois, en 2019 : un voyage en famille à Paris et quelques excursions d'une journée à Auxerre et au Mont-Saint-Michel. Nous prévoyons un autre voyage prochainement. Pour l'instant, il n'est pas prévu de traduire l'un de mes autres livres en français, mais ce serait formidable d'établir un lien avec un éditeur français et de changer cela.

Le roman se déroule donc dans l'univers de la saga Assassin's Creed. Comment en êtes-vous venu à l'écrire ? Était-ce une « commande » ? Le vouliez-vous ?

Mon agent m'a fait savoir qu'il y avait une opportunité et m'a mise en contact avec l'éditeur, Aconyte Books. Je n'avais pas envisagé d'écrire une histoire d'Assassin's Creed avant cela, mais j'ai tout de suite été intéressée, car j'écris beaucoup dans des contextes historiques et j'ai donc pensé que cela conviendrait bien. Ils avaient une idée générale du type de cadre qu'ils voulaient dans l'univers d'Assassin's Creed, et m'ont demandé de leur présenter quelques idées, à partir de là nous avons collaboré avec Ubisoft pour développer l'histoire.

Connaissiez-vous, ou étiez-vous une fan des jeux et de l'univers, avant cela ?

Oui, j'avais joué à quelques jeux et j'avais vu mon enfant et mon partenaire y jouer encore plus, j'étais donc déjà une fan. Il m'a été facile et passionnant d'écrire dans cet univers ; il m'aurait été beaucoup plus difficile d'écrire pour une franchise que je ne connaissais pas bien.

Je suis curieux : lorsque vous écrivez sur un personnage issu d'une licence de jeu, êtes-vous libre d'écrire ou de lui faire faire ce que vous voulez ?

Dans une certaine mesure ! Siméon et Pierrette (et la plupart des autres personnages du livre) sont ma propre invention, et c'est moi qui ai imaginé les intrigues. Mais j'ai fait des recherches sur le canon des jeux (et d'autres livres et bandes dessinées) pour m'assurer que l'histoire s'inscrivait bien dans l'ensemble. Aconyte et Ubisoft étaient également là pour s'assurer que je ne contredisais pas accidentellement quelque chose dans le monde. Le processus éditorial a toujours été très respectueux et collaboratif, mais j'étais bien sûr toujours consciente qu'il s'agissait d'une collaboration, pas de mon propre monde, et je voulais m'assurer que tout le monde était satisfait de la direction prise par le projet.

D'après vos autres livres, l'aspect historique semble être quelque chose que vous aimez vraiment écrire. Aimez-vous faire des recherches et vous immerger dans d'autres époques ?

J'ai toujours aimé lire sur l'histoire, et la recherche est l'une des parties que je préfère dans l'écriture d'une fiction historique. L'histoire réelle de l'humanité est infiniment fascinante et étrange.

Vos romans vont d'Assassin's Creed à Marie-Antoinette en passant par les légendes nordiques. Aimez-vous surprendre vos lecteurs ?

Oui, mais je crois que j'aime surtout me surprendre moi-même ! J'aime découvrir des périodes différentes et je ne suis jamais sûre de l'idée qui va s'emparer de moi. 

Il était évoqué une trilogie, et nous espérons que le volume 2 qui existe déjà sera également publié en France. Avez-vous terminé le troisième ?

J'espère que le deuxième volume sera également publié en français ! Bien que nous ayons envisagé la possibilité d'une trilogie, Aconyte et moi n'avons travaillé que sur un seul livre à la fois et, à ma connaissance, il n'y a pas encore de projet pour un troisième livre. Je savais qu'il n'y aurait peut-être pas plus de deux livres, c'est pourquoi j'ai veillé à ce que la fin du deuxième livre, The Resurrection Plot, ne comporte pas de cliffhanger. Les deux livres fonctionnent ensemble comme une duologie.

J'ai cru voir sur votre site web que le prochain livre s'appellerait Mercutio. Pouvons-nous avoir un petit spoiler sur l'histoire ou le thème (bien que je pense avoir une idée) ?

Oui ! Ce livre ne se déroule pas dans l'univers d'Assassin's Creed - c'est l'un de mes propres romans. Il raconte l'histoire du personnage de Mercutio dans Roméo et Juliette de Shakespeare, avant qu'il ne rencontre Roméo. Il sera bientôt publié par HarperVoyager UK, probablement en 2026.

Aain s creed la conspiration du mage

La conspiration du mage de Kate Heartfield aux éditions 404, 416 p, 19,95 €. 

Ichiguchi

Mon interview de la mangaka Keiko Ichiguchi pour La vie d'Otama paru chez Kana Editions.

 

Tout d'abord, pouvez-vous nous dire si vous êtes satisfaite de l'accueil réservé à La vie d'Otama ?

Lorsque le livre est sorti, j'ai rencontré des journalistes en France pour des interviews. L'un d'entre eux m'a dit que cette histoire se prêtait très bien à la réalisation d'un film. Cela m'a fait très plaisir, car pour moi, écrire une histoire et créer le storyboard, c'est comme créer un film dans ma tête. Ce sera une grande joie pour moi si cela devient un film ! J'ai lu quelques critiques françaises sur Internet et je les ai traduites en italien. Je suis agréablement surpris par le fait que les lecteurs semblent heureux d'avoir découvert Otama Kiyohara, ce peintre japonais, et un fait historique comme l'incident 226 de 1936. En ce qui concerne l'incident 226, je pensais qu'il était également connu en dehors du Japon, mais j'ai découvert que ce n'était pas le cas.

Le manga est publié en France, où vous étiez il y a quelque temps. Quel est votre lien avec notre pays ?

La France, tout comme la Belgique, est devenue un pays spécial pour moi depuis 2005, lorsqu'une de mes bandes dessinées a été publiée en français pour la première fois. J'ai été très surpris de constater qu'en France, les gens et même les médias considèrent la bande dessinée comme une expression culturelle et artistique au même titre que le cinéma, la musique, la littérature, la peinture, etc. Lors d'événements et de rencontres dans les librairies, j'ai senti le respect des gens pour cet art et pour les dessinateurs de BD.

Le personnage principal du manga est Otama Kiyohara. Comment l'avez-vous connue et qu'est-ce qui vous a incité à écrire sur elle ?

Andrea Accardi, l'illustrateur de cette histoire, a vu par hasard une grande exposition d'œuvres d'art d'Otama Kiyohara à Palerme. Il a été très impressionné par le fait qu'une femme peintre japonaise ait vécu et travaillé dans sa ville natale au XIXe siècle. Il m'a demandé d'écrire une histoire sur elle pour lui. C'est ainsi que j'ai appris à la connaître pour la première fois.

Elle a le même parcours que vous, puisqu'elle a quitté le Japon pour l'Italie. Bien que ce ne soit pas à la même époque ni dans les mêmes conditions, vous sentez-vous proche d'elle ?

Pas exactement, les époques et les conditions sont trop différentes. Mais je l'ai sentie proche à certaines occasions. Par exemple... J'ai écrit cette histoire pendant la pandémie. Au début de la pandémie, alors que l'Italie était dans la pire situation d'Europe, j'ai décidé sans hésiter de rester en Italie avec mon mari. À cette époque, personne ne pouvait imaginer ce qui allait se passer dans le monde. Je me suis dit : « Il est possible que je ne revoie jamais mes parents ». À ce moment-là, j'étais étrangement calme. Otama n'a pas pu retourner au Japon pendant longtemps, pour de nombreuses raisons. J'ai l'impression d'avoir vraiment compris ce que signifie un mariage international.

Comment avez-vous procédé pour faire des recherches sur sa vie, puis pour concevoir le scénario ?

Je n'ai trouvé que deux biographies japonaises sur elle. Je me suis rendu à Parelmo avec Andrea Accardi, l'illustrateur, pour visiter les lieux qui lui sont liés. Nous avons pu rencontrer un professeur qui a organisé la grande exposition des œuvres d'Otama. J'ai emporté quelques-uns de ses livres importants sur Otama. Après ce voyage à Palerme, la pandémie est arrivée. Il est devenu impossible de voyager pour poursuivre les recherches. J'ai donc essayé d'étudier en profondeur les quelques livres que je possédais. J'ai établi une chronologie avec les informations que j'ai obtenues pour la comprendre, elle et son monde. Bien sûr, j'ai lu plusieurs livres sur Palerme et le Japon à cette époque. J'ai essayé d'imaginer l'histoire de différents points de vue. Finalement, j'ai décidé de parler d'Otama du point de vue d'un garçon qui l'a rencontrée à la fin de sa vie, parce que le point de vue de ce garçon semblait similaire au mien.

Il est clairement indiqué que ce livre est « inspiré » de la vie de l'artiste. Quelle est la part de vérité et quelle est la part d'imagination ?

Le garçon que j'ai mentionné plus haut, sa famille et les gens qui l'entourent sont le fruit de mon imagination. Bien sûr, leurs épisodes aussi. Mais l'inspiration pour créer ce garçon m'est venue d'un petit épisode véridique que j'ai lu dans l'une de ses biographies.

Une fois de plus, il y a beaucoup de sensibilité et d'émotion dans ce travail. Est-ce votre marque de fabrique ?

Je n'ai jamais pensé particulièrement à ma « marque de fabrique ». Si vous avez eu cette impression en lisant cette histoire, je vous suis très reconnaissante pour vos mots.

Les dessins sont d'Andrea Accardi. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?

Comme je l'ai déjà dit, c'est grâce à lui que j'ai trouvé Otama Kiyohara, mais pour ce qui est de l'histoire, je l'ai faite entièrement seule. Je voulais réaliser non seulement l'histoire et le scénario, mais aussi le storyboard. Je me souviens encore lui avoir dit : « Je serai le réalisateur. Tu feras tous les acteurs. Nos deux rôles sont indispensables pour réaliser cette histoire ensemble ». Il était d'accord avec cette façon de travailler, mais j'imagine qu'il n'a pas été facile pour lui, surtout au début, de dessiner comme je l'avais indiqué, parce que, selon lui, ma narration était très différente des histoires qu'il avait faites auparavant. Parallèlement, il n'était pas non plus facile pour moi de réaliser le storyboard. J'avais l'habitude de le faire jusqu'au bout avant de commencer à dessiner, mais cette fois-ci, j'ai dû le faire chaque mois pendant une dizaine de pages pour suivre le rythme de l'illustrateur. Cela signifie qu'une fois que je lui ai remis le story-board, je ne pouvais plus le corriger. C'était assez stressant pour moi qui avais l'habitude de travailler seule.
 

Quant à son style de dessin, je n'avais rien à lui demander ! Quand il m'a montré l'étude de personnage, j'ai tout de suite aimé ! L'histoire a commencé à bouger dans ma tête avec ses dessins.

Enfin, travaillez-vous déjà sur un nouveau projet dont nous pourrions parler aux lecteurs français ?

C'est mon premier défi en tant qu'auteur de bandes dessinées. (J'avais l'habitude d'écrire et de dessiner mes propres bandes dessinées). Je me suis rendu compte que j'aimais ce rôle, celui d'écrivain. J'espère donc que ce livre sera bien accepté par les lecteurs, afin que je puisse continuer à faire ce travail. En fait, j'ai déjà des idées pour de nouvelles histoires et je veux travailler avec des artistes européens. Tout est nouveau pour moi ! J'essaierai d'apprendre comment faire.

 

la vie d'otama cover

La vie d'Otama de Keiko Ichiguchi chez Kana Editions, 136p, 15,50 €.

AnnabonnaMon interview de l'autrice italienne Ana Bonacina pour Il suffit parfois d'un été paru aux éditions La belle étoile.

 

Pouvez-vous nous dire à quel point vous êtes satisfaite de l'accueil ?

Oh, tellement ! Je ne pensais pas qu'il était possible de vivre un tel moment, mais de temps en temps, les rêves dépassent la réalité et j'en suis infiniment reconnaissante.

Le livre a également été publié en France, qu'en pensez-vous ? Quelle est votre relation avec notre pays ?

J'ai toujours aimé la France et j'ai visité Paris deux fois, je l'ai adorée et j'aimerais aussi visiter la Provence et les petits villages français. Savoir que mon histoire peut aussi appartenir à votre beau pays est une joie et un énorme honneur pour moi et j'espère que vous l'aimerez vraiment.

Vous avez écrit des nouvelles et des articles, le désir d'écrire un premier roman est en vous depuis longtemps ?

Oui, le désir d'écrire un roman m'habite depuis l'adolescence, et le fait d'y être parvenu me remplit de fierté et d'émerveillement.

Comment vous est venue l'idée de cette histoire d'amour qui se déroule dans un si joli petit village ?

La création de Tigliobianco a été naturelle, je voulais un endroit où mes personnages pourraient se déplacer et qui soit petit et confortable, mais en même temps universel, et nous connaissons tous des petits villages comme Tigliobianco. C'est un lieu qui n'existe pas, mais qui existe mille fois.

L'histoire d'amour est née plus tard, lorsque Tigliobianco et ses habitants étaient déjà vivants. L'histoire avait besoin d'une ligne narrative principale, et c'est ici que César est arrivé dans la vie de Priscilla.

Niveau personnages, à l'exception peut-être d'Irène, on s'attache rapidement aux habitants, avec leur mélange de genres et de générations. Comment les avez-vous fait vivre ?

Inventer les personnages a été une joie sans fin. C'était comme jouer à la poupée, c'était mon petit théâtre et je devais faire vivre chacun d'entre eux, leur donner une histoire et un caractère, des peurs, des passions et des sentiments. C'était merveilleux de les façonner et de les voir prendre vie petit à petit.

Vous avez écrit deux histoires, le roman, et les personnages fictifs de l'héroïne, qui est auteur. L'exercice était-il amusant ? Un peu complexe ?

C'était très amusant !

Faire cohabiter la vie réelle et la vie imaginaire de Priscilla, mais aussi les faire s'affronter, c'était très amusant. Ce qui était beaucoup plus compliqué, c'était de n'abandonner aucun personnage et d'entremêler leurs vies sans laisser personne derrière.

C'est un "roman d'amour", mais il parle aussi de confiance - en soi, dans les autres, de doutes, de secrets, d'amitié... Etait-il important pour vous d'ajouter un peu plus de profondeur qu'une simple histoire de coup de foudre ?

C'était très important. Je ne voulais pas que ce soit une pure histoire d'amour, je voulais qu'un millier de sentiments soient vécus dans le village, comme cela se passe dans la vraie vie. Il était important que tout le monde soit vivant et j'espère vraiment avoir réussi.

Une question un peu plus légère, il faut avoir lu le livre pour comprendre : aimez-vous les gâteaux aux fraises ?

La vérité ? Ca ne me rend pas folle. J'aime plutôt le chocolat, les noix, la crème... mais les fraises sont si belles, si rouges, si estivales et si familières que je me suis dit que rien d’autre qu'un gâteau aux fraises ne pouvait être "maison".

Je n'ai lu que de bonnes critiques en France, et c'est un livre parfait à lire pendant l'été. Profitez-vous de votre succès actuel ou travaillez-vous déjà sur un autre projet de livre ?

Je suis en train d'écrire la suite de ce roman et j'espère vraiment qu'il sera publié. Il s'installe toujours à Tigliobianco mais en automne et d'autres invités vont arriver pour semer la confusion dans le village...

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Il suffit parfois d'un été d'Anna Bonacina aux Editions La belle étoile, 320p, 21,90 €.

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Mon interview de Yonatan Sagiv pour Dernier Cri paru aux éditions de l'Antilope. Il s'agit de la 3e aventure de son détective Queer Oded Hefer.

 

Pour commencer, pouvez-vous nous dire si vous êtes content de l'accueil réservé à ce nouveau livre depuis sa sortie ?

Oui, je suis extrêmement heureux. Le troisième livre a vraiment cimenté le personnage d'Oded en tant que figure culte de la littérature israélienne, et il a été traduit en français et en allemand.   

Que pensez-vous de la publication de ce roman en France ? Quelle est votre relation avec notre pays ?

Je suis très fier de sa traduction. Jean Luc-Aloush, le traducteur, a fait un travail extraordinaire en capturant la langue et la voix unique d'Oded, et en tant que fan de la culture française (la littérature, les arts, la nourriture, les vêtements, la mythologie urbaine de Paris), je pense que c'est un privilège très distingué d'en faire en quelque sorte partie. Surtout si l'on considère que la France a une tradition littéraire policière très renommée qui précède même Sherlock Holmes, et qui, d'une certaine manière, a lancé le genre tout entier.  

C'est la 3ème enquête de votre détective gay, pouvez-vous nous dire comment vous est venue l'idée de ce personnage à sa création ?

J'étais déjà un fan de littérature policière lorsque j'étais adolescent. Mais en grandissant (et en devenant plus gay :), j'ai commencé à remarquer que tous les détectives masculins que je lisais étaient divisés en deux catégories - le génie excentrique et le détective coriace, et tous deux étaient hétérosexuels. Si la communauté LGBT est représentée, c'est généralement en tant que suspects, déviants ou victimes. J'ai regardé autour de moi et de mes amis hilarants, incroyables et intelligents et je me suis dit : "Où sont tous ces gens dans le genre que j'aime tant ? J'ai donc décidé d'écrire ce qui me manquait en tant que lecteur. Je me suis dit qu'il serait très intéressant de voir ce qu'il adviendrait du genre policier si je plaçais un personnage gay, bruyant, fier, bavard, névrosé et impulsif comme personnage principal, comme enquêteur, comme narrateur. Je voulais faire exploser le genre de l'intérieur :)  

Vous aviez déjà en tête le fait de vouloir en faire un personnage récurrent ?

Oui, pour moi, la beauté du genre policier est qu'il est sérialisé. Il vous permet d'explorer différents mystères tout en voyant évoluer votre détective, votre personnage principal.  

Oded est exubérant, fonceur et il dit ce qu'il pense, mais je l'ai aussi trouvé très fragile et attachant. Comment écrivez-vous pour maintenir cet équilibre ?

J'essaie de faire de lui un personnage à plusieurs niveaux, donc j'essaie de construire son exubérance, ou parfois son comportement et ses rêves exagérés, comme un mécanisme de défense destiné à cacher aux autres, ou même à lui-même, ses peurs, ses traumatismes et ses insécurités. L'utilisation d'un narrateur à la première personne me permet de montrer ce dédoublement au lecteur, car je peux simultanément montrer ses actions énergiques et son discours extérieur, mais aussi les accompagner de sa propre narration qui expose son état plus intérieur, fragile et conflictuel.

Il a toujours très peu de temps pour résoudre ses affaires, vous aimez capter les lecteurs avec ce sentiment d'urgence ?

Oui, j'aime le suspense, j'aime les thrillers, et je voulais ce sentiment de "tic-tac". Cela sert également le personnage d'Oded, qui est lui-même très motivé, peu sûr de lui, anxieux, et qui a l'impression que sa vie est en désordre et qu'il s'agit de sa dernière chance de se prouver au monde entier.  

Et en même temps, vous prenez le temps de nous plonger dans la vie de Tel Aviv et du pays et de soulever certains problèmes, c'est très important pour vous, j'imagine ?

En effet. Pour moi, le genre policier se résume à l'exploration de l'identité, qu'il s'agisse des individus, des villes, des sociétés ou des cultures qui sont en jeu dans le texte. Le genre policier est également très urbain, il cartographie la ville, ses plaisirs et ses secrets. Il est donc crucial pour moi que les romans explorent Tel Aviv, Israël et ses nombreux (nombreux) problèmes.

Si vous acceptez d'en parler, quand on regarde quelques commentaires de lecteurs français, certains sont dérangés par le fait que le héros parle de lui au masculin et au féminin. Pouvez-vous comprendre cela et expliquer ce choix ?

Je pense qu'il y a une différence culturelle qui peut contribuer à cette confusion. En Israël, en hébreu, il est très courant pour les gays masculins de parler de cette manière, d'alterner les conjugaisons masculines et féminines. C'est un jargon gay tel-avivien, si vous voulez, et je l'aime parce qu'il s'agit d'une stratégie linguistique queer visant précisément à perturber et à déstabiliser les normes de genre par le biais du langage.     

Pour finir, peut-on déjà savoir s'il y aura une quatrième aventure avec Oded ou si vous voulez passer à autre chose ?

J'espère qu'il y en aura une ! J'ai récemment écrit et publié des mémoires sur la période de ma vie où j'ai perdu ma voix et où j'ai dû réapprendre à parler. C'est écrit dans un style très différent, donc la voix d'Oded me manque et j'espère commencer à l'écrire bientôt.

 

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Dernier cri de Yonatan Sagiv aux Editions de l'Antilope, 384 p, 23,50 €.

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Mon interview du déjanté Mark Haskell Smith pour Mémoires paru aux éditions Gallmeister. 

 

Votre nouveau roman n’est paru qu’en France, est-ce qu’il y a une raison à cela ?

Pour l'instant, il n'est pas prévu de publier Mémoires en anglais. Il n'est publié qu'en France. Une première mondiale !

C'est un peu compliqué, mais la réponse courte est que j'ai voulu faire bouger les choses, ce qui m'a amené à changer d'agent et à essayer de trouver un nouvel éditeur pour mon travail aux États-Unis. Et ce livre est représentatif de ce changement.  Je pense qu'il est sain pour les artistes de sortir de leur zone de confort, d'acquérir une nouvelle énergie et de nouvelles perspectives.

Quelle est votre relation avec notre pays et vos éditeurs français ?

J'ai beaucoup de respect et d'affection pour Oliver Gallmeister et François Guérif.  Ils ont défendu mes écrits pendant des années, d'abord avec Rivages Noir et maintenant avec Gallmeister. Les lecteurs et les libraires français ont fait preuve d'un soutien et d'un enthousiasme fantastiques. Ils comprennent ce que j'essaie de faire, à savoir que les livres peuvent être divertissants et avoir quelque chose à dire sur la politique, l'humanité, la sexualité, etc. 

J'ai beaucoup de respect pour la littérature française, la vie de l'esprit qui y est encouragée.  Il est normal d'être intellectuel. L'éducation est bien meilleure.  À l'inverse, les États-Unis ont une culture de la célébrité anti-intellectuelle. Elle est superficielle, axée sur l'argent, les biens de consommation et les régimes. Cela ne laisse pas beaucoup de place à la littérature.

Dans cette histoire, vous vous mettez en scène, ou du moins le héros est un auteur qui porte votre nom et a le même parcours. Comment vous est venue cette idée ?

J'étais à un festival littéraire qui faisait la promotion de mon livre de non-fiction Rude Talk à Athènes quand on m'a demandé quel serait mon prochain projet. Le modérateur a indiqué que Rude Talk était mon neuvième livre et que, conformément à la tradition littéraire, mon dixième livre devrait être un mémoire, une sorte de résumé d'une vie consacrée à l'écrit.

Une fois que vous avez eu l'idée, a-t-elle été facile à formuler et à écrire ?

Il m'a fallu un certain temps pour déterminer qui raconterait l'histoire, mais une fois que j'ai trouvé Amy, qui est sincère et sarcastique dans le meilleur sens du terme, l'histoire s'est mise en place assez rapidement.  Et parce que la prémisse du roman est tellement ridicule, j'ai simplement desserré les freins et je me suis lancé dans une course aussi folle que possible sans m'écraser. 

Amy Elshof est-elle également basée sur une personne réelle ?

J'ai quelques amis qui écrivent pour des magazines, mais non, Amy est son propre personnage.  D'une certaine manière, elle est similaire à ce que vous faites, elle est mon personnage de Drag, quelqu'un qui peut dire et faire des choses que je ne peux pas.  C'est libérateur et cela m'a permis d'avoir un point de vue plus nuancé sur moi-même.

Comment avez-vous procédé pour garder la ligne entre la réalité de votre carrière et ce qui est inventé ?

99 % des faits concernant mon éducation, ma carrière dans la musique rock, mes amis et ma famille, la tentative de recrutement par la CIA, sont exacts ; mais comme le 1 % d'ADN qui sépare les humains des chimpanzés, c'est dans ce fossé que se trouve la véritable vérité. Ce livre est donc un mémoire honnête et une histoire vraie qui n'a peut-être jamais eu lieu.

Les détails de mes débuts dans la vie sont tous vrais. Mais Mark Haskell Smith vivant à Athènes est un de mes fantasmes, quelque chose que j'aimerais être vrai.  Pour répondre à votre question : J'ai fait de mon mieux pour être aussi honnête à propos de Mark Haskell Smith que n'importe quel biographe et, en même temps, pour laisser le romancier Mark Haskell Smith faire son travail.

L'auteur du livre est présenté comme quelqu'un qui n'a pas de lecteurs et dont le succès auprès des professionnels est très limité. J'imagine qu'il faut une bonne dose d'autodérision pour dépeindre le Mark Haskell Smith du livre comme vous le faites ?

Je prends mes écrits au sérieux, mais pas moi-même. Je suis une personne ridicule.

Il y a tellement de rebondissements dans cette histoire, et cette pauvre héroïne doit endurer des choses folles et rencontrer des gens surprenants. Comment faites-vous pour équilibrer tout cela ? Vous arrive-t-il de vous dire : « Non, ça va trop loin ou c'est trop fou » ?

Contrairement à Amy, je n'écris pas sur contrat, j'écris le livre que j'ai envie d'écrire et j'essaie ensuite de lui trouver une maison.  De cette façon, je ne me censure pas et je ne m'inquiète pas de savoir si c'est trop ou trop fou. Le plaisir de l'écriture, pour moi en tout cas, c'est de voir jusqu'où on peut aller dans la folie tout en restant crédible.

Le livre contient de nombreuses références à des auteurs. S'agit-il de clins d'œil à des personnes que vous lisez dans la vie réelle ?

Oui !  Et aussi des clins d'œil à d'autres écrivains américains publiés par Gallmeister.

Enfin, appréciez-vous le succès de ce roman ou travaillez-vous déjà sur votre prochain projet ?

J'adore la réaction des lecteurs français et des médias.  C'est vraiment gratifiant, après tout le travail et tout le... je ne sais pas... stress de révéler tant de choses sur moi-même. Le fait que ce soit apprécié avec autant de bonne humeur fait que l'effort en valait la peine.   Et, qui sait ?  Peut-être que cela amènera Elon Musk et Jeff Bezos à repenser leur mode de vie.  Ou peut-être que le monde les obligera à payer des impôts sur leurs milliards.

Mon prochain roman est terminé.  Il s'agit de ma version d'un mystère « en chambre close » à la Agatha Christie, qui se déroule au Costa Rica.  Il y a beaucoup de baise !  

 

Memoires
Mémoires de Mark Haskell Smith aux éditions Gallmeister, 272p, 22 €.

ReneeMon interview de Renee Rosen pour Glamour sur la 5e avenue paru aux éditions Belfond. 

 

Pouvez-vous nous dire si vous êtes contente de l'accueil réservé à ce roman depuis sa sortie l'année dernière aux États-Unis ?

Bonjour Patsy, merci de me poser la question ! On ne sait jamais à quoi s'attendre lorsqu'on publie un livre. On ne sait jamais quelle sera la réaction générale à tel ou tel personnage, à tel ou tel thème, etc. Mais j'ai eu beaucoup de chance que les lecteurs aient adopté l'histoire d'Estée Lauder et de son amie fictive, Gloria Downing. J'ai reçu tant de courriels et de critiques agréables. C'est très gratifiant.

Que pensez-vous du fait que ce roman soit également publié en France ? Quelle est votre relation avec notre pays ?

C'est une émotion et un rêve qui se réalise. En tant qu'Américaine, je vois toujours les femmes françaises comme étant si glamour et si à la mode, et comme le maquillage joue un rôle important dans l'apparence générale d'une femme, c'est passionnant de partager cette histoire avec des lecteurs comme vous. Je pense qu'Estée Lauder approuverait certainement ce livre. 

Ce livre raconte l'histoire d'Esthée Lauder, de ses débuts à son empire, comment vous est venue l'idée de ce thème ?

Après avoir terminé mon précédent roman, L'âge d'or, j'ai dit à une amie que je n'avais absolument aucune idée de ce que j'allais écrire ensuite. Elle venait de terminer un documentaire sur l'un des fils d'Estée Lauder et m'a suggéré de me pencher sur la vie d'Estée. Après une recherche sur Google, j'ai été séduite. Estée Lauder était une véritable outsider et je suis toujours inspirée par les femmes fortes qui surmontent les obstacles. Mais au-delà de sa volonté et de sa détermination, j'ai découvert une histoire fascinante, pleine de rebondissements inattendus, tant dans sa vie professionnelle que personnelle. Je n'arrivais pas à croire que personne d'autre n'avait déjà écrit un roman basé sur sa vie.

Il ne s'agit pas d'une biographie, mais d'une histoire racontée du point de vue de sa meilleure amie, vous saviez dès le départ que vous alliez l'écrire de cette façon ?

Au début, je pensais écrire le livre du point de vue d'Estée Lauder, mais une fois que je me suis assise pour commencer le roman, un autre personnage est apparu dans ma tête et a pris le dessus. Gloria a commencé à me raconter l'histoire et je me suis sentie obligée de l'écouter. Je ne fais jamais de plan pour mes livres et j'ai découvert que mes personnages ont un destin à accomplir. Si j'essaie de les contrôler, je m'enferme dans un coin de 20 000 mots. Il m'a fallu beaucoup de temps pour apprendre que je devais faire confiance aux histoires que mes personnages me racontent.

Cela dit, en m'appuyant sur Gloria comme narratrice, j'ai pu explorer d'autres thèmes tels que l'amitié, l'ambition féminine et ce que cela signifie d'assumer sa vérité. Plus important encore, Gloria m'a permis de donner aux lecteurs quelque chose de plus sur cette icône cosmétique qu'ils ne trouveraient dans aucun des nombreux livres écrits par ou sur Estée Lauder.

Pouvez-vous nous parler des recherches et de la préparation que vous avez effectuées sur sa vie avant d'écrire ?

Comme nous étions encore soumis aux restrictions de Covid pendant la majeure partie de la rédaction de ce livre, je n'ai pas pu faire le genre de recherches pratiques que je fais habituellement. Mais j'ai pu parler à un certain nombre de femmes qui avaient travaillé pour Estée Lauder, et j'ai également pu interviewer un homme qui était très haut placé dans l'industrie cosmétique, ce qui était fascinant.  Quant aux surprises, Estée en regorgeait, à tel point qu'il m'était impossible de toutes les faire figurer dans le livre.

Ce que je peux vous dire, c'est qu'elle est devenue une icône cosmétique presque par défaut.  En grandissant, Estée avait un rêve, celui d'être célèbre.  Elle voulait être un nom connu de tous et ne se souciait guère du véhicule qui l'aiderait à y parvenir. Elle a commencé par être actrice et lorsque cela n'a pas marché, elle s'est tournée vers les soins de la peau et les cosmétiques.

Avez-vous découvert quelque chose en particulier qu'Estée faisait et que vous admirez plus que d'autres, parce que vous n'auriez pas été capable de le faire vous-même ?

Je pense que le trait de caractère le plus admirable d'Estée était sa détermination à toute épreuve. Elle n'acceptait tout simplement pas qu'on lui dise non et ne laissait aucun obstacle la faire dérailler. Je peux rester assez concentrée sur un objectif particulier, mais je suis loin d'être aussi débrouillarde qu'Estée. Je pense vraiment à de nombreuses femmes, d'hier et d'aujourd'hui, qui l'étaient.

Vos livres parlent toujours de femmes fortes et inspirantes qui vont de l'avant malgré leurs soucis. C’est important pour vous ?

Ce n'est pas quelque chose que j'ai consciemment décidé de faire. Je pense que c'est quelque chose qui doit percoler au fond de mon esprit pendant que j'écris. Je suis attirée de base par les femmes fortes, donc je le suis naturellement par ce genre de personnages féminins dans mes livres.

Dans le prochain livre, c'est Ruth Handler qui sera l'héroïne, peut-on déjà avoir quelques mots sur l'histoire en avant-première ?

Let's Call Her Barbie, l'histoire des créateurs de la poupée, sera publié aux États-Unis en janvier 2025.  C'est un livre qui m'enthousiasme au plus haut point et qui est en préparation depuis longtemps. En fait, je travaillais sur ce roman bien avant le film Barbie. Le roman s'étend de 1956 à 1976 et lève le rideau sur la fabrication de la poupée la plus emblématique de tous les temps.

L'origine de Barbie est complexe et fascinante. Ruth Handler et son équipe ont dû surmonter d'énormes obstacles pour mettre cette poupée sur le marché, et il s'en est fallu de peu. Les lecteurs seront peut-être surpris d'apprendre que lorsque Mattel a dévoilé Barbie au salon du jouet de 1959, elle a immédiatement fait un flop retentissant. Tout le monde pensait qu'il était indécent de donner aux enfants une poupée avec des seins. Mais Ruth et son équipe ont persisté et le reste, comme on dit, appartient à l'histoire.

Tout ce qui concerne ce livre a été spécial pour moi et je suis ravie que nous incluions des bonus pour les lecteurs, y compris des photos.

 

Glamour
Glamour sur la 5e avenue de Renee Rosen aux Editions Belfond, 416 p, 22 €.

Date de dernière mise à jour : 28/01/2025

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